En un éclair

Si on accepte de se poser deux minutes, fait observer Clampin, décidément très en verve depuis le début de son séjour...

Donc, si on accepte de se poser deux minutes, réitère Clampin qui ne verrait pas d'inconvénient à ce que Mezzig ne lui coupe pas sans arrêt la parole...

Si on accepte de se poser deux minutes, remet le couvert Géronyme sous le regard attentif et bienveillant de Madame qui brûle d'entendre la suite...

Si, comme il avait commencé, on accepte de se poser deux minutes, il est censé se passer quoi? relance Mezzig qui souligne que les deux minutes sont déjà écoulées...

On réalise à quel point la boucle est vite bouclée, conclut Géronyme, ravi de sa démonstration.

Feu de palais

A table, Clampin discute avec Madame à la manière de deux champions de tennis disputant une rencontre. Mezzig se contente de regarder passer les balles en faisant le service.

Madame et Clampin se connaissent de longue date. Madame était étudiante en Lettres et envisageait de passer des concours. Clampin, lui, animait un atelier d'écriture à l'université. C'est comme ça qu'ils avaient lié connaissance. Sans autre précision.

Sauf qu'à les voir jouter de conserve au dessus des assiettes, on devine que le piment
n'avait pas dû manquer au menu de leurs relations.

Mezzig se dit que ça tombe bien: rien de tel que les épices pour relever les ébats.

Lotus et bouche cousue

Clampin s'est installé pour trois jours. Il dormira au deuxième: la chambre sous le toit.

Au pied du lit, l'anachorète a disposé un bouddha en terre cuite. Son coussin de méditation et des bâtonnets d'encens aux volutes subtiles.

Pour compléter l'ensemble, une vieille boîte de conserve rouillée devant laquelle Clampin se livre à son assise immobile.

Ce doit être ce qu'on appelle y croire dur comme fer. Sinon, Mezzig donne sa langue au chaste.

Repus de Noël

C'est Clotilde qui est arrivée en premier. Ensuite, il y eut Mose, Dédé et le Gamin, Kraine et, fait rarissime, Clampin, conduit par son maître. Ce dernier ne s'est pas attardé mais a tenu à saluer l'assemblée.

A l'évidence, Madame était de mèche et avait pris les devants. Après l'apéritif et les amuse-gueule, on était passé aux choses sérieuses. On fit banquet, bombance, ripailles et bamboche.

C'est simple, tout le monde s'en est mis jusque là. Li Pouiye y compris avec une double ration de croquettes et des dessous de table.

Il y en avait tellement à se coller dans le buffet qu'à la fin on n'en pouvait plus. Honni soit qui mal en panse!

Sans faute

Joël Noyeux est né un 24 décembre. Il était attendu comme le Messie. Le fait est que ça n'a pas raté: à minuit pile il faisait son entrée dans l'allégresse généralisée.

Mezzig et Noyeux étaient dans la même classe. Chez les petits. Ensuite, ils se sont retrouvés sur les bancs du même Lycée. Copains comme avant.

Noyeux était brillant élève. Mezzig n'en fichait pas une ramée. Il n'a pas continué.

Un jour, les deux compères sont tombés l'un sur l'autre. Ils ont échangé des souvenirs, leur adresse et se sont juré de garder le contact.

Depuis, c'est la coutume, Mezzig lui passe un coup de fil le jour de son anniversaire pour lui souhaiter Noyeux Joël.

Il y a comme ça des histoires qu'on n'invente pas.

Tir d'ailes

L'année dernière, les parents de Madame sont venus trois jours passer les fêtes en réunion. Cette fois, ils ont opté pour une semaine dans les îles. Ils auraient tort de se gêner.

Peut-être qu'ils en auraient fait autant si Mezzig n'était pas allergique à l'avion. Qu'il ne craignait pas d'être victime du décalage horaire. Du changement de climat. D'horizon. De régime. D'us et de coutumes.

La carte postale exotique. Le chromo paradisiaque. La litho tropicale, très peu pour sa pomme. A l'inverse, Madame se verrait bien pour une fois se requinquer sous les palmiers, entre séance de sauna et rafraîchissement aquatique.

Ne manque plus que la chambre avec moustiquaire et fauteuils en rotin pour que le tableau soit complet: Mezzig en bée de congestion.

Est-ce que par hasard il aurait raté un épisode? On atterrit parfois comme on peut, c'est pas vrai?

Tournée du patron

On sent poindre un léger frémissement dans les rangs. N'en déplaise à La Virago, le petit ne fait plus autant l'unanimité. La fronde est encore loin d'être inscrite au menu de La Glotte, ça n'empêche qu'il y a de la grogne dans l'air.

Cramponné qui au rosé glacé, qui au blanc sec, qui à la mousse, la bande à lambda commence à la trouver raide.

Passe encore le coup du passage chez Mickey. On peut comprendre: ça reste le plus sûr moyen de se faire tirer sur la queue! Mais qu'en plus, le même s'évertue à vider les bourses des moins pourvus, là, ça devient franchement dur à avaler.

Mezzig spécule en sourdine qu'on n'a pas fini d'en faire des gorges chaudes dans les chaumines.

Secret d'alcôve

Kraine a repris du service. Sa cheville est encore un peu raide mais c'est sans comparaison aucune avec ce qu'il vient de traverser. Surtout depuis qu'il a commencé les séances de kiné.

Kraine en a profité pour relancer son petit commerce. Les visites à domicile ont repris. Toujours aussi discrètement. C'est un impératif.

Maintenant, Mezzig en sait un peu plus sur le sujet. Sans rentrer dans les détails, Kraine lui a confié qu'il était versé dans le tatouage. Autre corde à son arc, les épouses insatisfaites et autres bourgeoises esseulées.

Le tout évoqué du bout des lèvres, comme on le devine. Pour Mezzig, ce sera motus et bouche cousue. Il saura tenir sa langue.

Pour rien

Comme elle n'a plus ni l'envie ni la force de faire un sapin, c'est Mezzig qui s'y est collé avec un peu d'aide.

Dédé s'est arrangé pour barboter un arbuste qu'il a ramené en douce et Clotilde a fourni les boules et la guirlande. Elle a aussi rapporté une brioche pour la P'Tit Dame d'en Face et cuit du pain pour chacun.

Une fois la décoration terminée, la P'tit Dame a tapé dans ses mains et gloussé comme une fillette. La petite fille qu'elle avait été peut-être.

Mezzig s'attendrit qu'il est bon de se sentir munificent. En toute humilité, cela s'entend.

Idée Cadeau

C'est un jeu qui devrait faire fureur. Une facétie sans prétention. Avec des règles simples. Faciles à retenir.

Voilà comment la partie se déroule. Disons par exemple qu'il y a quelqu'un qui soutient qu'il existe assez de lieux convenables où passer la nuit au chaud pour ceux qui se retrouveraient à la rue et qui ne sauraient où loger.

Dès que le joueur en question s'est exprimé, il est invité à prouver sa bonne foi en rejoignant par ses propres moyens l'hébergement le plus proche où il aura tout loisir de partager sa nuitée avec d'autres compagnons de fortune. Lesquels ne manqueront pas de recevoir le beau parleur comme il se doit.

Connu sous le nom juvénile du C'est Celui Qui Dit Qui Y'est, ce divertissement supporte un nombre infini de variantes et s'adapte à tout type de personnalité. Peu prisé en hauts lieux, il devrait cependant ravir celles et ceux qui auront su garder décence et dignité.

Mise aux poteaux

La mère Natzy a un problème de taille. Au sein de l'équipe médicale responsable de sa prise en charge, on est perplexe: aucune avancée significative. Son cas reste un mystère.

Aussitôt qu'elle se met en boule, la mère Natzy a le corps qui enfle comme un poisson coffre. Dès que la colère redescend, seul le haut de son anatomie retrouve une apparence normale.

Quant à ses jambes, elles mettent des heures, parfois des jours, à dégonfler. Si bien qu'il lui faut se rendre à l'hôpital pour recevoir un traitement approprié.Une solution de repli, un pis-aller, qui a pour effet d'atténuer la gêne sans pour autant réduire l'œdème.

Comme il n'y a aucune amélioration en vue, la mère Natzy perd toute mesure et c'est reparti pour l'inflation.

Premiers pas

Montana et La Virago se sont rencontrées au cours d'une soirée organisée par l'Amicale Lesbienne aux Gaies Turones, un Club situé non loin de la cathédrale, au beau milieu d'une impasse discrète et mal connue des tribus noctambules en vogue à Trous sur Gloire.

Ce premier tête-à-tête n'avait pas été renversant. Ni l'une ni l'autre n'étaient en quête d'une aventure. Elles étaient là pour passer un agréable moment, sans plus.

Au fil de la conversation, Montana avait glissé qu'elle était plus ou moins sans emploi. Une balle que La Virago avait repris au bond en lui parlant de La Glotte et du fait qu'elle envisageait de recruter quelqu'un pour la décharger du service.

Après quoi, le sujet avait été mis de côté pour faire place à de plus amples présentations.

Là où ça gratte

Et vas-y que je te coupe la route sans préavis! Que je te grille la priorité dans les ronds-points! Que je te colle au train en écumant des turbines! Que je te crache par la vitre de la Golf mégatunée sans autre préambule.

Cheveux modelés à la pâte. Lunettes de soleil vissées sur le nez même par temps gris. Le chewing-gum énervé. La conduite au plancher, les démangés de l'estime de soi ne reculent devant aucun écart.

Ceux-là, Mezzig s'en méfie comme de l'herpès. On n'a pas encore trouvé mieux pour vous coller des pustules.

Fend la bise

Trois paires de chaussettes. Caleçon long. Deux pantalons. La parka sous le blouson. Un cache nez et des moufles. Ses rondeurs de dirigeable hissées sur l'arrière de la selle, il est paré pour la virée.

Dernières consignes avant l'envol: se tenir aux poignées. Ne pas se pencher dans les virages. Eviter de poser des questions toutes les trente secondes. S'abstenir de saluer la foule sur le trajet.

Pour Samar, c'est une première. Depuis le temps qu'il en mourait d'envie sans oser le demander. Son baptême à l'italienne en quelque sorte.

Mezzig fait tonner les gamelles de la 2Cylindres. Samar se cramponne. A partir de maintenant, c'est sauve kippa! bouffonne Mezzig avant de tourner la poignée.

Pineraie

On ne dirait pas comme ça mais à force d'en brasser toute la journée, on a l'odeur imprimée dans le nez.

Même après une bonne douche, un fois récurés, décapés, changés de pied en cap, Dédé et le Gamin empestent la résine et le pin Nordmann.

Dédé plaisante qu'ils ont l'air de deux lutins, aïlhi, aïlho! qui rentrent du boulot. Le Gamin se marre en reprenant le refrain à tue-tête. C'est pas parce que ça sent le sapin qu'on doit faire une tête d'enterrement!

Si Mezzig était là, certain qu'il trouverait ça troll!

En catimini

Ce qu'elle avait oublié de préciser l'autre jour, c'est qu'elle avait été contrainte de se montrer désagréable avec Mose à cause du trop grand nombre de clients présents ce jour-là. Mose n'aurait pas pu choisir pire moment.

La Virago ne tenait pas à prolonger la conversation devant la brochette de gougnafiers accoudés au comptoir qui n'attendaient qu'une occasion pour se déchaîner.

En le raccompagnant jusque sur le trottoir, elle avait quand même réussi à lui glisser de repasser plus tard lorsque La Glotte aurait désempli.

La Virago connaissait des personnes que son business de Touffe à l'Ancienne pouvait intéresser. Ils en reparleraient loin des oreilles indiscrètes.

Elle lui avait fait promettre de ne pas vendre la mèche. Raison pour laquelle Mose n'avait pas repris contact avec Mezzig depuis.

Pause café

A peine dans la salle, ses oreilles bourdonnent des acouphènes de service sur le manque d'attention, de considération, concentration, motivation, d'ambition, curiosité, compréhension, capacités, connaissances, et encore, c'est pour ne pas les enfoncer.

Quand même, quand on voit ce qu'ils écrivent et la manière dont ils s'expriment, quand ils s'expriment! en classe, on se demande ce qu'il en est de l'éducation.

Pas plus tard que tout à l'heure, il y en avait au moins la moitié d'affalés sur leur table, l'air de s'en battre comme c'est pas permis de ce qu'on peut leur raconter. C'est simple, on a l'impression de les incommoder plutôt qu'autre chose. C'est tout bonnement décourageant.

Madame regrette parfois que Mezzig ne soit pas petite souris: il en ferait, à coup sûr, un fromage.

Qui vient dîner

Le tout c'est d'avoir un bon aLibye. Pour le reste, on fait Kadhafi de tout bois.

Les Droits du Gnome sont décidément de moins en moins impénétrables! manque de s'étouffer Mezzig.

Dans la farine

Depuis le temps qu'elle bavait devant, ça ne pouvait plus durer. En se serrant la ceinture, Clotilde avait réussi à mettre assez d'argent de côté pour se la payer.

A présent, elle trône au milieu de la kitchenette et fait son admiration.

A peine rentrée du trimard, Clotilde se retrousse les manches et fait tourner la machine à pain. En dehors du minutieux rituel de préparation, ce qu'elle préfère c'est sentir la bonne odeur de miche en fin de cuisson parfumer l'intérieur de son deux-pièces-chambre-salon-coin-douche.

Si elle s'écoutait, elle en cuirait trois par jour rien que pour s'imprégner de l'odeur. Après toutes les misères qu'elle côtoie, c'est comme un baume qui l'apaise.

Elle a d'ailleurs prévu d'en rapporter un à Mezzig pour le remercier de son intervention et parce qu'elle l'aime bien même si, dans son genre, il a l'air un peu ringard et dépassé.

Cul sec

C'est le bout du tunnel, enfin. Kraine va pouvoir se passer d'attelle. La semaine prochaine, il commence les séances de kiné. Il va pouvoir reprendre sa vie normale.

Le seul bémol dans l'histoire, c'est qu'il s'est remis à boire. Pas une goutte en cinq ans. Abstinence totale. Une sobriété de cactus. Et bingo, la rechute!

Dès qu'il pourra de nouveau vaquer librement, Kraine se promet de réduire la vapeur. Un extra de temps en temps, à la limite, d'accord, mais pas davantage.

Sans compter que se traîner avec un foie en marmelade et des maux de tête à tout casser, c'est loin d'être sa tasse de thé.

En tout cas, pour aujourd'hui, c'est cuit: une entorse n'attend pas l'autre. Kraine attrape la bouteille et se ressert une rasade. Bien frappée, avec des paillettes, c'est comme ça qu'il préfère.

Champ de ruines

Il suffit d'un sourire. Même pas: une esquisse, une ébauche. Un léger retroussement des lèvres et c'est suffisant.

En fin d'après-midi, Clotilde a sonné chez lui. Impossible de démarrer. Un problème de batterie.

Mezzig s'est empressé de lui venir en aide. Il ont un peu papoté en bidouillant sous le capot. C'est comme ça qu'il a remarqué ses dents.

De magnifiques quenottes. Eclatantes de santé. Impeccablement alignées. Solides à souhait. Des mâchoires de rêve.

Tout le contraire de son ramassis de crocs branlants. En partie immolés sur l'autel de la roulette et du foret.

On ne s'étonnera qu'à moitié après ça que Mezzig ait perdu de son mordant.

Incognito

Qu'est-ce qu'il voulait dire au vrai? Qu'est-ce qu'il avait en tête? La journée est passée comme un mauvais coup de vent. Il n'a pas eu le temps d'approfondir.

Ah! si: Mezzig a noté quelque part qu'il valait mieux laver son lynchage en famille. Deux lignes en dessous, que le monde, quand on y songe, est facile à comprendre.

Il y a ceux qui vous répètent que vous pouvez y aller, qu'il n'y a rien à craindre, mais qui refusent de passer devant ou qui ont la fâcheuse manie de vous pousser dans les reins au cas où vous auriez des objections à formuler.

Ce n'est certes pas avec ça que l'on risque une percée. Les grands principes s'avancent souvent masqués, c'est bien connu.

Au naturel

La 2Cylindres sur le bas-côté. A l'arrêt sur la béquille. Mezzig retire son casque. Ses gants. Se dégourdit les doigts à l'aplomb du moteur.

Tout autour, la campagne engourdie. Des champs à perte de vue. Des bosquets. Un restant de taillis. Comment rester indifférent, franchement?

Entre nous, c'est tellement calme. Tellement reposant. Tellement désert...Tellement gavé d'engrais. Nitrates. Sulfates. Fongicides. Pesticides. Raticides que ç'en est écœurant.

Mezzig reprend son casque, enfile ses gants, débéquille. Il s'arrêtera fumer et boire un café plus loin: on n'en est plus à une saloperie près.

Salle d'attente

Montana! Montana! Comment ça s'il en a déjà entendu parler!? Et tiens donc ! Il ne connaît que ça!

Montana: la nature à l'état sauvage. La pêche à la mouche. Les grizzlys en vadrouille. Le type qui trifouillait il ne sait plus quoi dans les oreilles des canassons.

Montana: les deux-tiers des geysers de la planète. Le Yellowstone. Les bisons. Les élans. La rivière qui coule au milieu, ou quelque chose dans le style. Les Sioux de Taureau Assis.

Samar en a les bras qui tombent. Il ignorait qu'il avait traîné ses guêtres par là-bas.

Mezzig corrige le tir: il a vu ça dans des revues chez son dentiste. C'est juste un mot qui le fait rêver. Sauf exception, c'est entendu.

Gros lot

Cette manie de tout conserver! Comme si ça pouvait encore servir à quelqu'un. Ces chemises, tiens: deux jambons desséchés. De la vieille peau de quelqu'un.

Pareil pour les pompes. Les futals. Les maillots. Les tricots. Les vestons. Tous ces rescapés d'un autre âge. Usés jusqu'à la corde. Elimés. Défraîchis.

Pris d'un accès de rangement, Mezzig plonge dans les profondeurs de sa penderie. Farfouille entre les cintres. Fouine. Trifouille. Fourrage au milieu des bouffées d'antimite.

On a beau le savoir, beau s'y préparer, ça n'est jamais plaisant d'être renvoyé au vestiaire.