Glob trotteur

A l’heure qu’il est, qui sait où ils ont pu atterrir. Peut-être au Sud. A l’étranger. Dans n’importe quel coin. Ce ne sont pas les routes qui manquent. Ni les endroits vers lesquels mettre le cap.

Une carte sous les yeux, Mezzig voyage à vol d’oiseau. Il suit des itinéraires du bout du doigt. Égraine à voix haute un panaché de noms tous aussi bigarrés les uns que les autres. Franchit cols, fleuves et frontières dans tous les sens.

A l’improviste, il fait relâche au beau milieu de nulle part et se fabrique un décor. S’imagine comment sont les gens. S’improvise des rencontres. Se tricote d’aventureux périples.

Au passage, il croise des destinations qui feraient rêver Madame si Mezzig lui annonçait tout de go que ça y est, il a reçu les billets, fait les réservations et qu’il n’y a plus qu’à boucler les valises. Sûr qu’elle ne demanderait pas son reste pour plier bagages.

Dans l’immédiat, c'est bon de se sentir chez soi. Ces va-et-vient l’ont mis sur les rotules. Si personne n'y voit d'inconvénient, Mezzig aimerait se retirer histoire de récupérer.

Court de propos

Ecrivain, est-ce qu’il y a déjà pensé? Parce que Samar le verrait bien comme ça. D’après lui, il a la tête de l’emploi. Il trouve que ça lui irait bien. Pourquoi il ne s’y mettrait pas? En plus, il a du temps pour lui. Il devrait se lancer.

Mezzig répond que c’est amusant parce qu’un jour, on l’avait pris pour un docteur du fait qu’il se déplaçait toujours un cartable à la main. A l’époque, il jugeait que ça lui donnait un air sérieux. Une prestance. L’apparence de quelqu’un d’occupé.

Une autre fois, il s’était fait passer pour un auteur de guides à gros tirage, censé rédiger un article sur Trous sur Gloire, ses bonnes adresses, son vieux quartier, sa face cachée, et tout le monde avait marché.

Si on les laissait faire, c’est fou ce que les gens s’imaginent. De là à en pondre un roman, il y a de la marge. Sans compter qu’il ne saurait pas quoi raconter. Mezzig préfère laisser le dernier mot à ceux que ça inspire.

Soirée prisée

Pour un galop d’essai, il y avait du monde au portillon. Pas question de rester les deux pieds dans le même sabot. A moins, bien sûr, d’être un mauvais cheval.

Les invitations avaient été pourtant distribuées avec discrétion et parcimonie. Pas question de rameuter la foule pour ce qui ne devait être au départ qu’une simple répétition. Manière d’avant-première pour audience avertie et triée sur le volet.

Sans être racoleur, le programme était on ne peut plus tentant. L’affiche alléchante. Le bouche à oreille avait donné à plein. Si bien que, contre toute attente, la Touffe à l’Ancienne avait fait salle comble. Au Gaies Turones on n’avait pas vu ça depuis une paye.

En coulisses, Mose ne savait plus où donner de la tête. Restait à peaufiner les derniers détails. A gommer les menues imperfections. A rappeler les consignes.

Il était clair qu’aucun écart ne lui serait pardonné: tout devait être réglé au poil près.

Motos crosses

Rutilantes, la bouche en coeur, un poil frimeuses, les voilà de sortie. Certaines, plus fières que d’autres, daignent à peine lorgner du côté de la robe un brin négligée de la 2Cylindres qui n’a pas ménagé sa peine et connu toutes les intempéries.

Qu’à cela ne tienne, les pimbêches n’ont qu’à filer se rhabiller. Ce n’est quand même pas ces petites faiseuses briquées qui vont lui en imposer. Sois belle et toise-toi! voilà ce qu’elle leur dit la bougresse.

Magnanime, Mezzig préfère les laisser régler ça entre elles. Leurs histoires de vernis, les concours de grands airs, les rosseries de carénage, s’il s’en trouve que ça fait mousser, il n’a rien contre: un jour ou l’autre ça leur passera de rouler plein fard.

Horoscope

Travail. Votre envie de bien faire sera mise à rude épreuve. Il vous sera demandé beaucoup et vous recevrez peu en retour. Votre hiérarchie ne manquera pas de vous mettre des bâtons dans les roues et vous serez observé de près. Il faut vous attendre à des pressions. Menaces et chantage ne sont pas exclus. Gardez la tête haute.

Amitiés. Ne comptez sur personne. N’espérez rien. 

Finances. L’argent ne vous brûlera pas les doigts. Vous aurez beau vous limiter dans vos dépenses et tirer un trait sur vos projets, vos prévisions les plus pessimistes se verront largement dépassées. Des coupes sombres sont à prévoir. Tenez le cap et surveillez votre budget.

Amour. Pas d’amélioration en vue. Votre idéal tarde à se découvrir. Vous avez peut-être placé la barre un peu haut. Vous vous montrez regardant. Vous affichez vos préférences. Vous en demandez trop. Réfléchissez. 

Santé. Vous aurez du mal à trouver le sommeil. Vous vous sentirez fébrile. Irrité. Tenez bon. C’est parti pour durer.

Chance. Il n’y aura pas de place pour tout le monde. Retournez dans la file et attendez votre tour. Le personnel est débordé.

Mezzig en est conscient: ça n'est pas donné à tout le monde d'avoir la vocation.

Sans commentaire

             Envoyée par sarkophage

Sur mesure

Il est clair que chacun va devoir faire des efforts. Edmond de St Edmond y pense sérieusement. Il en a parlé à Geneviève. Elle est d'accord.

Dorénavant, la décapotable ne servira plus que pour les sorties du dimanche. Pour les autres déplacements, son épouse se contentera de la Mini, plus facile à garer et moins tape à l'oeil. 

Quant à Edmond, il songe sérieusement investir dans un Vespa (Il a commencé à se renseigner sur les prix: ils en font des biens maintenant) pour la belle saison. Ce qui aura entre autre avantage de soulager le cabriolet dont l'entretien n'est pas donné et qui a tendance à consommer pas mal.

Dans un même souci d'économie, en relevant un peu les manches, on pourrait réduire de moitié les services du jardinier et de la femme de ménage. Bien entendu, c'est un début.

C'est malheureux à dire mais, quand on est habitué à se débrouiller, c'est tellement plus facile de s'imposer des sacrifices, alors que là...

Tournicotine

Sans trop rêver, peut-être qu’il en reste une petite oubliée au fond d’un des paquets qu’il a jetés à la poubelle. C’est le moment ou jamais de fouiller. 

Il s’était pourtant juré d’attendre que ça passe. Après tout, il n’avait qu’à prévoir avant. Ou s’économiser. S’en garder quelques-unes de côté. Ou carrément se résigner puisqu’il s’est laissé surprendre.

Entre temps, pour tromper l’ennemi, Mezzig s’est boulotté une tablette entière de chocolat. Il a mis à sac un sachet à peine entamé de gommes à l’anis déniché dans le placard de la cuisine. Englouti trois bananes et s’est resservi deux fois des pâtes au dîner.

Une chose est sûre: c’est la dernière fois qu’il se lance dans ce genre de plan fumeux. C’est un coup à se pourrir la santé, à attraper une rupture ou à faire une crise. Un truc à risquer sa vie.

Demain, à la première heure, fini de jouer les héros: direction la centrale à goudron, l’usine à tumeurs. A la cartouche qu’il va y aller! Et, d'ici là, que personne ne bronche!

ça camarde

Ensemble, ils parlent de la mort. La P’tite Dame d’en Face dit qu’elle n’est pas pressée. Que tant qu’elle tiendra encore sur ses deux jambes, elle a l’intention de durer. Que même si elle perd un peu le fil de temps en temps, elle n’est pas si mal en point que ça. Qu’à son âge, tout le monde ne peut pas en dire autant.

Mezzig se prend les pieds dans le tapis que mais non, mais si, qu’elle a bien raison de prendre les choses comme ça et, qu’à sa place, il en ferait autant.

D’ailleurs, qui sait dans quel état il sera quand ce sera son tour, renchérit Mezzig que le sujet n’emballe pas plus que ça. De toutes les façons, il n’a pas l’intention de demander une rallonge. Si c’est pour finir lamentable, il ne voit pas l’intérêt.

                       

Ce qu’il veut dire, c’est qu’avec tout ce qui traîne, il y a gros à parier qu’il n’aura pas la moelle de vivre aussi vieux. Enfin, vieux, c’est une façon de parler. Parce qu’il suffit de la regarder pour voir qu’elle a encore de beaux jours devant elle.

Bon, ça n’est pas qu’il s’ennuie mais, vu l’heure, il ne voudrait pas la fatig...abuser. Et puis Madame va sûrement le chercher. Il ne faudrait pas qu’elle s’inquiète. Un malheur est si vite arrivé.

La main au collier

Bien sûr qu’elle aurait pu faire un autre choix. On a toujours le choix. Elle aurait pu se montrer conciliante. Arrondir les angles. Lâcher du mou. C’était mal la connaître.

Va savoir pourquoi, avec les hommes, ça n’a jamais tourné comme sur des roulettes. Le dernier à tenter sa chance a eu beau s’accrocher, il a fini par rendre son tablier comme les autres. 

C’est simple. A la fin, pas question d’en démordre: c’était lui ou son espèce de grande gueule de bâtard à moitié furieux. Pas les deux à la fois. C’était à elle de décider.

Enflée comme une outre, la mère Natzy lui a vite fait savoir dans une épaisse de bordée de postillons de quoi il retournait et que personne ne le retenait.

Le lendemain, le plancher était débarrassé. 

C’est drôle, parfois, les histoires, où ça va se nicher!

C'est pas des foutaises

C’est sûrement passager, toujours est-il que ses petites séances privées ne lui apportent plus le même frisson qu’auparavant. Jusque là, personne ne s’est plaint. En général, tout se passe bien. Ses visiteuses ne boudent pas leur plaisir. Repartent satisfaites.

C’est plutôt de son côté que le bât blesse. Parfois, Kraine se demande s’il n’est pas à la recherche d’autre chose que ces roucoulades clandestines. Ces amours à la sauvette. Ces mises en scène codifiées.

Fut une époque où la perspective d’un premier rendez-vous le mettait en alerte. Il se sentait nerveux, tendu. Soucieux d’être à la hauteur. Important comme un collégien.

A la limite, il se verrait bien en pincer pour une frimousse, perdre la boule, tout plaquer et foncer bille en tête se jeter pour de bon dans la cage aux fauves.

Certaines mauvaises langues ne manqueront pas de persifler que c’est un signe qu’il commence à prendre de la bouteille. D’ici à ce qu'on lui conseille de songer à prendre  bientôt sa retraite, il n’y a pas des tonneaux. 

Rares sont ceux qui démentiront: le vit est souvent cruel!

Karma gnôle

La Virago n’y comprend plus rien. Qu’est-ce qu’ils cherchent exactement? Parce qu’il faudrait s’entendre: ils la veulent ou ils la veulent pas leur indépendance?  Un jour c’est oui et le lendemain, c’est un autre son de cloche.

En plus, ça rime à quoi tout ce foin entre eux. Puisqu’il est de là-bas le Da Layi, encore un drôle de nom qu’il tient celui-là, qu’est-ce qu’il attend pour y retourner et régler le problème au lieu de chinoiser comme il fait, c’est vrai quoi!

La pauvre flamme! Si c’est pas un déshonneur de la voir traitée comme ça. Au prix du gaz! Un coup je l’allume, un coup je l’éteint. Faudrait savoir à la fin.

Comme si on n’avait pas déjà assez d’ennuis chez nous. Il faut encore qu’on aille se mêler des affaires des voisins. D’ailleurs, c’est où cet endroit? Est-ce que ça existe au moins? 

Vous en connaissez vous, des Tibétains? Le jour où on en verra un franchir le seuil de La Glotte, c’est juré, il sera temps pour La Virago de fermer Bouddhique.

Lever l'encre

C’est toujours pareil. A chaque fois, IL commence quelque chose, IL est enthousiaste, IL ne jure que par ça, et puis, plouf, un jour ça tombe à l’eau et pas moyen de s’y recoller.  Certains appelleront ça de l’inconstance et ils auront raison: IL est inconstant.

IL a déjà essayé pas mal de choses dans sa vie. Des choses dont IL est plus ou moins fier. La liste serait trop longue à dérouler. Et maintenant, LE voilà revenu au même point: IL est à court d’inspiration.

Avec Mezzig, IL avait un peu repris du poil de la bête. Du jour où IL était tombé par hasard sur son Glob, IL s’était dit que ça LUI ferait une occupation de s’amuser avec le bonhomme. De le piloter à distance si l’on veut.

Si seulement IL était plus discipliné, plus assidu, le jeu en vaudrait sûrement la chandelle. Il y a fort à parier qu’IL y retrouverait ses billes. 

A moins qu’il s’agisse simplement d’un mauvais moment à passer. Au quel cas, il est encore trop tôt pour se lamenter. IL va faire en sorte de redresser la barre. C’est le moment ou jamais de se fixer un nouveau cap.

On retrousse ses manches et on repart à l’attaque! La partie n’est pas encore à l'eau. 

Roues libres

Tôt ce matin, le camping-car a rompu ses amarres. Dédé et le Gamin ont repris la route.

La veille au soir, il ont invité Madame et Mezzig à dîner. Il y avait des fleurs pour Madame ainsi qu’une caisse de bon vin pour Mezzig. Li Pouiye n’a pas été oublié. Il a eu droit à son lot de friandises et aux câlins du Gamin.

Même s’il en avait gros sur la patate, Mezzig n’a rien laissé transpirer. Sous son air un peu bougon et détaché, il est comme ça, Mezzig: les départs le rendent morose. Il n’aime pas voir les autres s’en aller.  

Quand il a entendu le moteur démarrer en pleine nuit, Mezzig s’est levé. Il a ouvert la fenêtre. Agité la main en signe d’au revoir et attendu que la rue retrouve son calme.

Il n’est pas retourné se coucher.

Les deux voyageurs ont promis qu’ils donneraient régulièrement de leurs nouvelles. Ça va faire un drôle de vide en attendant.

Sur le pont

Cette fois la coupe est pleine: Madame s'engage dans le maquis. Hors de question qu’elle prenne sur son temps libre pour assister au stage de formation organisé à perpète aux frais de la princesse. 

Sa hiérarchie n’a pas attendu pour réagir et l’encourager vivement à revenir à une position plus conciliante. Bien qu’elle soit au regret d’en arriver là, la direction n’exclut pas d’en référer à qui de droit. Ce qui mettrait évidemment tout le monde dans la peine. D’autant que l’hypothèse d’une sanction n’est pas à écarter.

Madame, qui ne manque pas d’air à l’occasion, a aussitôt rétorqué qu’elle n’entendait pas se dégonfler sous la pression. 

Mezzig connaît plus d’un garagiste qui n’aurait pas fait mieux.

Bonne prise

En apprenant la nouvelle, Mezzig a failli défaillir: Madame lui a balancé tout de go qu’elle avait accepté la proposition d’une de ses collègues de prendre son chat en pension au moins jusqu’à la fin de la semaine et qu’elle n’avait pas le temps de lui en dire plus parce qu’elle avait rendez-vous avec son directeur pour discuter d’une éventuelle mutation.

Un peu plus tard, c’est Samar qui l’a appelé pour lui dire que s’il était intéressé, il avait hérité d’un stock de homard tombé du cul d’un camion et qu’il devait se dépêcher avant que tout soit écoulé.

A peine raccroché, c’est le facteur qui lui faisait signer une lettre recommandée à l’en-tête de la Mairie lui spécifiant que son Glob avait été élu à l’unanimité par un jury indépendant pour incarner le dynamisme et l’esprit d’initiative de la communauté Trous-sur-Gloirienne et qu’à titre de récompense un pécule d’encouragement lui serait décerné en présence des autorités à une date qu’il restait encore à fixer.

Avant que la puce ne lui vienne à l’oreille, Kraine et Clotilde se pointaient annoncer leurs fiançailles et convier Mezzig à fêter l’événement autour d’un verre à la Glotte où La Virago n’attendait qu’eux.

C'est là que l'aphaniptère lui glissa dans le creux du lobe que, sauf à vouloir passer pour une tanche, il n'était pas forcé de mordre à tous les hameçons.